- INTRODUCTION : UN AQUEDUC, POURQUOI FAIRE ?

Le pont Roupt.

Un aqueduc, ça fait Romain ! Cette courte phrase, extraite de la bande dessinée, Astérix, est bien vraie. On peut même dire que ça fait "travail de Romains", tant l'aqueduc, et lui seul, symbolise à la fois le génie technique de cette civilisation, allié à une volonté, et à une persévérance sans limite. " Aller toujours plus loin, faire toujours plus fort! ", telle aurait pu être leur devise. Et il est sûr que sans cette obstination, sans cet acharnement devant l'adversité, ils n'auraient pu bâtir l'empire qui a été le leur et qui, aujourd'hui encore, suscite l'admiration et force le respect.

A suivre ces aqueducs, maintenant bien ruinés mais avec de nombreux tronçons encore forts majestueux, on peut se demander pourquoi ces romains se sont lancés dans des constructions aussi gigantesques - le plus long de ces aqueducs, celui de Carthage, atteint 132 km - mobilisant les énergies de plusieurs milliers d'hommes pendant cinq ou dix ans voire davantage. Le problème de l'alimentation en eau des cités romaines, des plus grandes, était-il tel que l'édification de ces immenses serpents de pierres qui allaient sillonner la nature, s'avéra indispensable ?

Les villes antiques, surtout celles sujettes à des périodicités de sécheresses, étaient depuis longtemps déjà sensibilisées à ce problème. Elles étaient souvent bâties autour d'une source vénérée, le long d'une rivière ou d'un cours d'eau. Les habitants allaient chercher l'eau aux puits. Ils savaient stocker l'eau courante ou les eaux pluviales dans des bassins et des citernes. De plus, leurs besoins quotidiens en eaux étaient faibles.

Le serpent de pierre vu du ciel.Avec l'arrivée des Romains et de leurs troupes, certaines villes vont prendre de l'expansion, devenir des agglomérations bondées, se hisser même au rang de capitale régionale de l'empire. Des monuments prestigieux vont être édifiés et les besoins en eau vont s'accroître. On pourrait alors penser que, très tôt, des aqueducs vont être construits. En fait, il semble que non. Les recherches entreprises pour tenter de répondre à cette question montrent, au contraire, que dans la plupart des cas, les grands aqueducs, très coûteux, ont été bâtis après le développement des villes qui se sont agrandies en augmentant seulement les ressources en eau traditionnelles ou bien en rajoutant de petits aqueducs ne nécessitant pas d'imposants ouvrages d'art.

Deux exemples le montrent :

Aqueduc du Gier, Lyon.Lyon, proclamé par Auguste capitale des 3 Gaules, (Lugdunensis, Aquitania, et Belgica), en 12 avant Jésus-Christ, se développera sur la colline de Fourvière. Cette ville haute sera longtemps alimentée par les deux petits aqueducs du Mont d'Or et de Craponne. Les deux grands aqueducs seront construits longtemps après ; l'aqueduc de la Brevenne, soixante dix ans plus tard et celui du Gier, en 120 après Jésus-Christ, sous Hadrien. La ville basse de Lyon ne sera jamais alimentée par aqueduc.

Carthage, depuis longtemps colonisée, se développera sans aqueduc. Il faudra attendre la venue de Vespasien qui décida au II e siècle après Jésus-Christ, la construction des immenses thermes qui portent son nom, pour construire l'aqueduc de 132 km de long, nécessaire au fonctionnement de ceux-ci. On constate donc qu'une grande ville peut très bien se développer sans aqueduc ruineux. Comme le souligne Philippe Leveau, "établir un lien décisif entre le développement urbain et l'alimentation en eau serait une attitude "moderniste" : on transposerait sur les villes antiques une réalité moderne".

De fait, Rome n’aura son premier grand aqueduc qu’en 310 av. J.-C. c’est-à-dire 440 ans après sa fondation.

L'aqueduc sera, dans la plupart des cas, un objet de prestige financé par des impots, mais aussi par les dignitaires pour asseoir l'image de la civilisation qu'ils représentent. D'ailleurs, comme le remarque encore l’archéologue Philippe Leveau, "l'aqueduc est également l'expression matérielle de la domination urbaine sur la campagne". En effet, il n'y a pas de système d'adduction d'eau en milieu rural. La civilisation romaine s'est édifiée sur la domination des peuples colonisés ; la société romaine était, rappelons-le, de type esclavagiste. Pour affirmer son autorité, pour se faire accepter par tous ses sujets, l'empereur va développer une philosophie de l'eau comme instrument du pouvoir, faire de l'eau le symbole de la puissance civilisatrice de Rome. Fournir l'eau domestique en abondance, pour tous, agrémenter la ville en la faisant plus belle, plus propre, plus hygiénique, et aussi plus gaie grâce aux spectacles donnés dans les amphithéâtres et aux jeux du cirque, tout cela afin que chacun puisse ressentir le bonheur et la fierté d'être Romain.

Le pont du Gard de nuit.

A Rome, on comptera au IVe siècle ap. J.-C., 700 bassins, 300 châteaux d'eau, 1352 fontaines et 967 établissements de bains gratuits. Hygiène du corps : on se rend aux thermes comme les Anglais prennent le thé, c'est un rituel ; hygiène de la ville : l'eau courante des fontaines se répand dans les rues et les lave, elle est évacuée dans les égouts et les nettoie. Toute cette eau purifie l'atmosphère et chasse les mauvaises odeurs. Frontin, nommé Grand Curateur des eaux à Rome, écrira en 97 après Jésus-Christ "à ces constructions si nombreuses et si vastes , allez donc comparer des pyramides qui ne servent à rien ou encore les ouvrages des Grecs, inutiles mais vantés partout".

Mais pour réaliser cette grande oeuvre, il fallait une quantité d'eau énorme que les Romains durent aller chercher à des distances souvent considérables et qu'ils acheminèrent jusqu'à la ville grâce aux aqueducs.

Rome disposera, au temps de sa splendeur, de près d'un million de mètre cubes d'eau par jour soit, pour une population estimée à l'époque à un million d'habitant, un mètre cube par personne, deux fois plus que ce dont disposent les habitants de cette ville aujourd'hui.

Le pont de la Lone.

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